Dienstag, Februar 27, 2007

Le Père de Foucauld, le Maire de Strasbourg et le Père Marziac ou "L'appel du Christ-Roi" à l'Hôtel de Ville

Le samedi 25 novembre 2006 a eu lieu la bénédiction à Strasbourg devant l'église Saint-Pierre-le-Jeune d'une statue du bienheureux Charles de Foucauld, officier français devenu moine au Sahara, assassiné le 1er décembre 1916 par une bande de pillards dans son ermitage de Tamanrasset (1.970km au sud d'Alger), dans ce qui était alors l'Algérie française.
Devant 500 personnes environ, Monseigneur Joseph Doré, administrateur apostolique de l'archidiocèse de Strasbourg, procéda à la bénédiction, revêtu d'une étole posée en toute simplicité sur son manteau. Assistaient notamment à la cérémonie le Préfet de la Région Alsace, Madame le Maire de Strasbourg, le Président de la Communauté Urbaine de Strasbourg, le Gouverneur militaire de Metz, commandant de la région militaire nord-est, représentant le Chef d'Etat-major de l'armée de terre. On notait aussi la présence de 43 membres de la famille de Charles de Foucauld.
Un détachement de Saint-Cyriens en grand uniforme avait fait le déplacement depuis Coëtquidan, mais ils avaient été priés de laisser leur sabre à Saint-Cyr, sans doute pour ne pas faire trop penser au passé militaire de Tamanrasset.
Venu exprès de Caussade pour l'occasion, le R. P. Marziac, alsacien de Strasbourg et missionnaire en Afrique comme le Père de Foucauld, demanda à prendre la parole. Les organisateurs lui répondirent que cinq discours étaient déjà prévus mais que, peut-être, il pourrait parler ultérieurement lors de la réception à la Mairie.
Aussitôt arrivé à l'Hôtel de Ville, le missionnaire rappela ce qu'on lui avait laissé espérer et qui lui fut finalement accordé. Ayant réuni ses nombreux invités, Madame Fabrienne Keller, Sénateur-Maire U.M.P. de Strasbourg s'approcha donc du micro pour présenter l'orateur en ces termes. "Le R. P. de Marziac va maintenant vous adresser la parole." Encouragé mais nullement troublé par cet anoblissement imprévu, le seigneur de Caussade commence alors son discours.
Au fur et à mesure qu'il parle, ses auditeurs voient Madame Keller pâlir (on notera à sa décharge que, n'étant pas une habituée du Prieuré de Strasbourg, ni d'aucun Prieuré de la Fraternité d'ailleurs, elle ne pouvait connaître le personnage; c'est vraiement en toute innocence qu'elle lui avait donné la parole).
Cependant, il est urgent de réagir, se dit-elle, d'autant que le Conseil Municipal s'apprête à voter une subvention de 610.000€ pour la construction de la Grande Mosquée de Strasbourg (10% du coût total). Et puis M. Rabah Larbi, consul général d'Algérie et hôte de marque de cette journée, ne va pas écouter indéfiniment le bon père vanter les mérites de la glorieuse colonisation française en Afrique. Madame le Maire s'avance donc vers le Père Marziac.
- "C'est un peu long!" lui dit-elle en cherchant à l'éloigner du mirco.
- "Madame, c'est mainenant le plus important!" répond-il, et il continue, imperturbable.
Elle n'ose insister. Quelque temps après, cependant, elle revient à la charge et cette fois écarte le Père en le prenant manu militari par le coude. Consciente de la gravité de son geste, elle cherche à s'excuser en lui expliquant, à l'écart, que c'était vraiment trop long, etc. On en vient à parler de "tolérance religieuse". Le missionnaire lui répond que ce terme a une résonance maçonnique. A ce mot, le Sénateur U.M.P. tourne les talons, et part sans dire au revoir. Le prédicateur des Exercices de Saint-Ignace achève l'intermède par une généreuse distribution de feuilles oranges (le calendrier des retaites du Treilhou) aux personnalités présentes, lesquelles, un peu gênées, s'empressent de les faire disparaître dans leur poche.
Honneur au courageux fils spirituel du vénéré Père Vallet et du cher Père Barielle! Que Saint Ignace nous obtienne un pareil zèle apostolique! Et qu'il nous le conserve, si nous atteignons 82 ans comme notre valeureux missionnaire!
Que les fidèles trouvent là un exemple pour combattre, eux aussi, "le bon combat de la foi" dont parle Saint Paul (1ère épître à Timothée VI, 12)!

Nous reproduisons ici l'intégralité du discours du R. Père Jean-Jacques Marziac en indiquant l'endroit où il fut interrompu. Ce qu'il réussit à dire fit quand même trembler les lustres de cristal du très laïc Hôtel de Ville de Strasbourg.

Abbé Philippe François, Extrait du bulletin du Prieuré de la FSStPX. de Strasbourg

Madame le Sénateur-Maire,
M. le Président de la Communauté Urbaine de Strasbourg,
Mesdames et Messieurs,

C'est avec une joie particulière que j'ai l'honneur de prendre la parole ici, à l'occasion de l'inauguration de cette statue du bienheureux Charles de Foucauld, qui vient d'être placée et bénite devant l'église St-Pierre-le-Jeune. En effet, comme le bienheureux Charles, sans avoir hélas ses vertus, je suis né à Strasbourg. Baptisé comme lui dans cette même capitale alsacienne. Deux autres points communs encore nous unissent: nous sommes tous deux prêtres et missionnaires, tous deux sur le même continent africain, lui au Maroc et en Algérie, moi-même sous les tropiques en Côte-d'Ivoire. C'est dire notre même communion de pensée!
C'est avec une légitime fierté que je souligne l'heureuse et bénéfique influence alsacienne dans la pacification et colonisation de la Côte d'Ivoire aux XIXe et XXe siècles. C'est, en effet, le capitaine Binger de l'armée coloniale française qui pacifia, conquit et organisa la Côte d'Ivoire... Il était né à la Wanzenau, tout près de Strasbourg! et la première ville du pays prit son nom: Bingerville. Je reviendrai tout à l'heure sur sa méthode d'organisation du pays. J'ajouterai en outre qu'en Côte d'Ivoire, plus d'un quart des missionnaires de ma Congrégation des Missions Africaines étaient alsaciens. Parmi eux l'un des premiers évêques, Mgr Kirmann, qui fut le directeur spirituel du futur premier président de la Côte d'Ivoire: M. Houphouët-Boigny.
Mais c'est le bienheureux Charles de Foucauld qui nous intéresse particulièrement en ce jour. Rappelons rapidement les points clés de cette admirable vie, et ce qui me semble être son message en ce temps de crise à tous les niveaux, autant sur le plan religieux que social, et que nous déplorons actuellement. Qu'est-ce qui fut à l'origine de sa conversion et de sa vocation?
Même lorsqu'il vivait dans le péché, il sentait, il voyait qu'en dehors de Dieu, tout s'écroule. Il était de son temps, travaillait main dans la main avec les officiers français, convaincu que la présence française était nécessaire au progrès des Touaregs... du moins si elle était animée par les principes évangéliques! Ce fut aussi le cas du capitaine Binger qui, quoique protestant, fit venir des missionnaires catholiques en Côte d'Ivoire, avec leurs écoles. Là, comme ailleurs, l'Armée devança les missionnaires et on peut objectivement affirmer que, lorsque dans un pays une ethnie se christianisait, du même coup elle se civilisait. L'Armée apportait la paix, le missionnaire la charité.
(Interruption du discours).
Si au début de sa vie missionnaire, le Père de Foucauld n'a converti et baptisé que deux esclaves qu'il avait rachetés, il se donnait totalement aux Touaregs. Il déploya toutes ses ressources pour élever matériellement et moralement ces populations du désert, gagnant ainsi leur confiance. Son action missionnaire fut déterminante, tous les contemporains en conviennent, pour la pacification du Hoggar. Sur sa gandoura blanche l'image de la croix, - celle du Sacré-Coeur -, disait de loin qu'elle était la foi de ce Français. Son costume était une prédication. Il semait la graine, d'autres moissonneront...
Mais, diront certains, comment se fait-il que beaucoup de pays d'Afrique soient retournés dans le désert et l'anarchie, quand ce n'est point la guerre civile, comme en Côte d'Ivoire où nous avons 4.000 soldats? Cela, après leur indépendance. La réponse est dans la question: qu'est-ce qui fait la paix, l'unité, la prospérité d'un pays sinon sa foi, sa culture, sa langue? Or, nous avons laissé ces pays avec les faux et mauvais principes des droits de l'homme qui ont écarté tout simplement les droits de Dieu. Ils ont copiés, hélas, nos constitutions. Vers la fin de la première guerre mondiale qui a fait 17 millions de morts, le pape Benoît XV a très bien dénoncé cela dans son discours au Sacré Collège en 1917. Je le cite: "C'est l'athéisme moderne, érigé en système de civilisation, qui a précipité le monde dans ce déluge de sang." Oui, en dehors de Dieu, tout s'écroule.
Je termine par cette exhoration du Père de Foucauld en 1912, qui a désormais pris une valeur de prophétie. Je cite encore:
"Priez pour tous les musulmans de notre empire Nord-ouest africain, maintenant si vaste. L'heure présente est grave pour leurs âmes comme pour la France. Depuis 80 ans que l'Algérie est française (nous somme en 1912), on s'est si peu occupé du salut éternel des musulmans qu'on peut dire qu'on ne s'en est pas occupé. Si les chrétiens de France ne comprennent pas qu'il est de leur devoir d'évangéliser leurs colonies, c'est une faute dont ils rendront compte, et ce sera la cause de la perte d'une foule d'âmes qui auraient pu être sauvées. Si la France n'administre pas mieux les indigènes qu'elle ne l'a fait, elle perdra l'Algérie et ce sera un recul par rapport à la vraie civilisation, avec la perte d'espoir de christianisation pour longtemps."
Mais on peut rattraper le temps perdu, nous souvenant de ce principe de théologie catholique: "l'homme est ouvrier de l'Histoire et non esclave de l'Histoire." Nous avons besoin d'un sérieux relèvement intellectuel et moral. Rien de tel que les Exercices de St Ignace. J'ai vu des milliers d'hommes, depuis 53 ans que je suis prêtre, qui ont dit que ces Exercices spirituels, même de cinq jours, ont été la meilleure expérience de leur vie... le courage que je vous souhaite d'avoir, c'est d'y participer.
Que Dieu vous en donne la grâce!

Père Jean-Jacques MARZIAC

Article paru dans «INTROÏBO» - Bulletin de liaison et d'information des membres de l'Association Noël PINOT, N° 135, Janv.-Fév.-Mars 2007, 54, rue Delaâge - F-49100 Angers, Télépohne-fax: 02-41-87-81-20

Dienstag, Februar 06, 2007

Françoise Barthel d'Andlau

Françoise Barthel, stigmatisée alsacienne qui vécut au siècle (avant-)dernier, a suscité une vive critique et une violente opposition de son vivant. Puis le silence vint recouvrir cette figure remarquable d'un voile d'oubli que peu d'auteurs ont osé tirer jusqu'à présent. Sa vie est cependant assez riche, assez exceptionnelle même, pour prendre place dans cette publication.

Françoise Barthel est morte il y a un siècle (et demi), à Andlau, sa ville natale: elle était âgée de 54 ans, étant née en février 1824 dans une famille de très modestes ouvriers. Après une enfance calme et pieuse, elle entra d'un coup dans la voie des plus terribles souffrances, précoce préparation à toute une existence d'expiation et de réparation, qui se précisa au fil des ans et des grâces mystiques les plus étonnantes qui jalonnèrent toute sa vie. Elle fut suivie et soignée par le Dr. Taufflieb pendant près de vingt ans: ce médecin nota au cours de ce temps tout ce qu'il observa en elle, et conclut au caractère inexplicable et exceptionnel de toute la vie même de sa patiente. Il avouait n'avoir jamais vu en sa carrière une personne souffrir autant, et de maux aussi divers et graves.
En janvier 1851, elle fit une luxation subite de la cuisse, maladie incurable alors, qui lui fit garder le lit de longs mois; elle s'affaiblit considérablement et son dos se couvrit d'escarres, si larges et profonds que son entourage était atterré et n'osait plus la toucher. Elle souffrit beaucoup jusqu'au mois de mars: à cette époque, sans avoir rien demandé, elle fut favorisée d'une très longue apparition de saint Joseph, qu'elle vénérait d'une façon particulière. Ce saint lui annonça sa proche guérison, le 14 mai suivant, à la crypte du réputé sanctuaire d'Andlau.
Le 14 mai, se traînant sur des béquilles et à peine capable d'avancer en étant portée par quatre personnes, Françoise se rendit à la crypte où elle s'adressa avec confiance à la Vierge Marie: cette Mère de Miséricorde lui apparut et la guérit, à la stupéfaction des personnes présente, qui crièrent au miracle. Dès lors, la jeune fille reçut souvent des communications surnaturelles lui donnant progressivement des lumière sur les desseins de Dieu, sur les souffrances, les tribulations et les croix qu'elle aurait à subir pour la gloire de Dieu. Ces premières visions furent accueillies avec défiance par le curé à qui elle les communiqua. Le dioscèse, en effet, était en effervescence depuis un certain temps à cause d'une extatique de Niederbronn, dont on parlait beaucoup: Elisabeth Eppinger, devenue, en 1849 Mère Marie-Alphonse, fondatrice des Filles du Divin-Rédempteur.
Il apparut toutefois bien vite que les faits, tels que les rapportait Françoise, pouvaient avoir une origine surnaturelle: pendant sa maladie, des témoins nombreux avaient pu voir souvent une belle lumière d'un grand éclat apparaître dans sa maison juste au-dessus de son lit, tantôt sous forme d'un soleil, tantôt comme une flamme ou une colonne aux rayons étincelants. Cela était arrivé pour la fête du saint Nom de Jésus, le 17 janvier, et avait été depuis ce jour souvent observé.
Le 17 mars 1852, Françoise eut une appartion de l'Ecce Homo: cette vue lui occasionna une telle douleur qu'elle s'écria: "O mon Dieu, si pour l'amour de vous je puis souffrir avec vous et être huée, méprisée, souffletée et traînée comme vous à la Passion, me voici..." Le Seigneur l'encouragea alors à Le suivre et lui accorda la terrible grâce des stigmates, etc, le lendemain, elle souffrit les tourments de la Passion pour la première fois. Dès cette époque, elle connut de souffrances inouies, si fréquentes et si horribles qu'on ne peut penser une seconde à la fraude ou la simulation.

Les extases de la Passion se produisaient sur un rythme tel que l'on put compter en cinq mois de temps que Françoise subit trente-huit fois la Passion, dont dix-huit fois avec la flagellation! Et elle subit encore, de surcroît, plus de cinquante fois les tourments de la couronne d'épines....
Françoise avait des plaies vives et profondes aux mains, aux pieds et au côté, qui s'ouvraient à l'occasion des extases pour se refermer ensuite en un instant, ne laissant nulle trace. La douleur de ces plaies était constante.
Les extases commençaient invariablement de la même façon, par la flagellation: tandis que toute la personne de Françoise se tordait de douleur, en spasmes effroyables, les témoins voyaient paraître sur sa peau de longues meurtrissures linéaires, et de véritables plaies sanguinolentes. La peau était parfois arrachée, des ecchymoses se produisaient à une cadance inouie, les tissus enflaient. Souvent, de profondes empreintes de cordes apparaissaient à ce moment aux poignets de la stigmatisée. Plusieurs personnes ne pouvaient soutenir un tel spectacle. Elles quittaient la pauvre chambre en hâte.
Le couronnement d'épines éait tout aussi impressionnant: tandis que Françoise baissait toute la partie supérieure du corps, le sang commençait, lentement, à couler d'une série de piqûres énormes qui dessinaient comme un bandeau sur le front, les tempes, et dans les cheveux. L'hémorragie devenait de plus en plus abondante, au point de couler jusqu'à terre, et parfois de jaillir avec force, tout en détrempant complètement la chevelure. Françoise gémissait douloureusement pendant ce couronnement.
Venait ensuite la mise en croix: elle était, au dire des témoins, d'une beauté et d'une force à peine concevables. Françoise était comme étirée et ses bras tendus frémissaient et se raidissaient en spasmes douloureux qui faisaient craquer le torse. Les pieds se plaçaient l'un à côté de l'autre, les pointes l'une sur l'autre et comme rivées ensemble par le même clou. Le visage s'altérait, Françoise, d'un coup, poussait une longue plainte déchirante, qui s'afffaiblissait peu à peu pour faire place aux sursauts de l'agonie, puis à la mort mystique. Les plaies saignaient souvent beaucoup.
Il arrivait parfois que la stigmatisé fût de tout son long projetée par terre, pour être clouée sur le sol: on ne pouvait ni la soulever, ni même déplacer d'un millimètre ses mains ou ses pieds. A la fin de la crucifixion, les mains se détachaient d'elles-mêmes, puis les pieds, et l'extase se terminait par l'apparition du Christ ou de la Vierge, qui venaient réconforter la pauvre jeune fille. Et c'était enfin le réveil, instantané, qui survenait souvent sur un ordre mental du curé. Françoise, en revenant à elle, était brisée de fatigues.
Tous ces faits suscitaient une vive émotion à Andlau et dans le diocèse entier. D'autres signes, plus éclatants peut-être, passionnèrent les foules et divisèrent les espirts. Au mois d'août 1852, il fut décidé par Mgr Raess, évêque de Strasbourg, et protecteur de Mère Marie-Alphonse Eppinger, qu'une commission médicale examinerait Françoise, pour que l'on pût statuer sur le cas.

Les esprits étaient déjà très divisés au sujet de Mère Marie-Alphonse, et plusieurs personnes très influentes et opposées au surnaturel n'avaient pas, depuis 1848, pardonné à Mgr Raess de reconnaître le caractère providentiel de l'oeuvre de la fondatrice de Niederbronn, et la marque du surnaturel divin en ses révélations. De surcroît, certains tenaient dès l'origine contre Françoise Barthel, ne voulant rien voir d'autre que Niederbronn, comme si l'extatique, d'une part, à la tête de sa fondation, et la pauvre stigmatisée, d'autre part, en son humble chaumière, devaient rivaliser et être concurrentes... C'est là une réaction malheureusement bien fréquente, et que l'on connaît aujourd'hui entre tenants de telles ou telles apparitions contre telles autres...
Françoise fut donc conduite chez les soeurs de la Charité, à Strasbourg, pour y être examinée. Les médecins donnèrent des conclusions vagues et purent simplement se mettre d'accord sur le fait que toute fraude était catégoriquement exclue. Ils voulaient, avant tout, faire cesser le "scandale". Finalement, ils réussirent à faire dire à la pauvre fille toute simple et qui ne savait ni lire ni écrire ce qu'ils voulaient lui faire dire, menaçant de la garder là, sans lui donner la possibilité de revoir jamais son humble maison, sa pauvre mère malade et son frère: celui-ci était paralysé et Françoise le soignait en l'entourant de toute sa sollicitude.

Le Dr. Taufflieb et le curé d'Andlau tentèrent en vain d'obtenir un jugement objectif. Ils purent, plusieurs fois, voir Mgr Raess, mais celui-ci, tout en les recevant avec bienveillance, donnait la même réponse invariable: aucune décision ne pouvait, en ce domaine, être prise sans l'avis du conseil épiscopal... Et le conseil était très opposé à Andlau!
Plusieurs rapports furent adressés, en vain - malgré l'intervention de personnes influentes - au conseil épiscopal. Finalemet, Françoise fut prise pour une hystérique (on mettait bien des choses et surtout bien des phénomènes mystiques au compte de l'hystérie à cette époque!) et renvoyée à Andlau, avec défense de recevoir les sacrements, sinon par dérogation spéciale, en dehors de Pâques ou du cas de grave maladie.

Renvenue chez elle, Françoise regretta sa faiblesse devant les médecins, mais le Seigneur cessa ses grâces pendant trois mois, pour que le silence pût se faire sur les événements, et pour que Françoise expiât ainsi sa "lâcheté". Elle l'expia avec humilité, et de façon curelle.
En novembre 1852, la stigmatisée put recevoir de nouveau les sacrements. Dès ce moment, tous les phénomènes reprirent avec une intensité renouvelée et une fréquence plus grande. Françoise rétracta à ce moment tout ce qu'elle avait dit à Strasbourg; elle fit demander pardon de sa faute à Mgr Raess à qui elle fit écrire par son confesseur, M. Deherne curé d'Andlau. Cette rétractation ne fut cependant pas admise. Plus tard, elle demanda que ses plaies fussent toujours invisibles, ce qui lui fut donné, sauf pour la plaie du côté: Jésus lui dit:

- "Tu garderas ouverte la plaie de mon Coeur, car c'est le signe de ma Miséricorde!"

De fait, cette plaie resta constamment ouverte, saignant abondamment et répandant parfois dans toute la maison un suave parfum.

Françoise jouissait également de la présence, chaque jour, de son Ange Gardien, qui lui demandait des prières pour telle ou telle intention, qui lui faisait réciter le chapelet et lui enseignait tous les secrets de l'oraison: il lui apparaissait dès minuit, sous la forme d'un adolescent lumineux qui la faisait veiller en prière et la préparait à des extases de la Passion si impressionnantes.
Françoise bénéficiait également de nombreuses apparitions de la Vierge Marie et de saint Joseph, qui souvent multiplia les vivres de la maisonnée: la stigmatisée, sa mère et son frère invalide disposaient seulement de soixante centimes par jour! Quand elle le pouvait, Françoise faisait de petits travaux qui lui permettaient de vivre et de vaquer à l'entretien de sa famille. Elle ne demanda rien, ne se plaignit jamais, connut l'indigence et reçut tous ses inconvénients comme des grâces de Dieu.
Quand elle était valide et pouvait se rendre, ce qui arrivait rarement, à l'église paroissiale - où elle passait des heures prosternée, en présence du Saint-Sacrement - le démon la maltraitait, avec une rage effarante: il lui jetait des pierres, la giflait, la jetait par terre, lui envoyait poutres de bois et détritus etc. ... devant témoins. Elle ne se plaignait pas, continuant à prier sereinement!
Lorsqu'il lui était permis de recevoir - bien rarement - les sacrements, des parfums suaves, par effluves, remplissaient sa pauvre chambre et toute la maison parfois.

Mais la grande mission de Françoise fut avant même la souffrance expiatrice par la Passion cette mystérieuse participation au mystère du Purgatoire et le partage du sort des âmes qui s'y trouvent et qui venaient solliciter sa prière. Cela avait pris son départ avant même la stigmatisation, au moment où son père mourut: le 23 février 1852. Elle vit, dans un tourbillon de feu, l'âme de son père venue solliciter sa prière. Ayant accepté avec empressement, elle fut conduite par son Ange Gardien, qui l'encourageait, dans le Purgatoire, où alle subit, pendant cinq minutes, l'épreuve du feu: elle faisait des gestes comme pour se débarrasser d'un feu qui l'eût enveloppée, se tordait de douleur, et sa bouche largement ouverte aspirait avec avidité une atmosphère qui semblait la suffoquer. Revenue à la conscience, elle croyait avoir passé un an dans ce lieu d'expiation. Le fait se reproduisit souvent à partir de ce jour, plus ou moins longtemps: étant parfois touchée par les âmes du Purgatoire, qui la suppliaient de rester encore auprès d'elles et lui demandaient ses scours, elle fut brûlé, de façon visible; des signes s'imprimaient sur sa peau, des brûlures en forme de croix, de couronne d'épines à la joue, des brûlures dans la bouche, parfois même les noms de Jésus et Marie. Une fois, son fichu et un mouchoir prirent feu sur elle, comme pour faire la preuve de ces mystérieux phénomènes.

Par deux fois, le saint curé d'Ars fit écrire à Françoise et son confesseur pour les assurer des secours de sa prière et leur donner des conseils: quand il mourut, le 4 avril 1859, il apparut, dans une lumière éclatante, à la stigmatisée qui ne put le fixer, tant il était éblouissant. Elle l'avait, au cours de sa vie même, souvent vu à ses côtés, à prier avec elle.

Françoise Barthel fut une de ces âmes saintes qui passent et meurent sans laisser de traces mais dont Dieu se sert pour le rachat du monde. Sa vie, depuis 1852, ne fut qu'un tissu de souffrances, de douleurs, d'humiliations courageusement acceptées. Elle offrit tout, s'offrit entièrement, et mourut, ignorée de beaucoup, suspectée et abandonnée de la part de la hiérarchie, soutenue seulement par deux amis: son confesseur et le Dr. Taufflieb.

Soeur Anne-Marie
Centre BETHANIA - Chaussée de Waterloo 25, B-5000 Namur, "Rosa Mystica", Mai-Juin 1978